Tribune – Pierre-Alex Marie-Anne - La Région a élaboré un ambitieux Plan de développement du Tourisme comportant seize grands projets et soixante quatre actions ; on voudrait pouvoir applaudir à deux mains , à l’instar du Comité Martiniquais du Tourisme qui ces jours-ci pavoise sans retenue sur tous les médias existants, mais hélas quel abîme entre les intentions proclamées et leur traduction concrète sur le terrain !
Deux exemples particulièrement édifiants :
Honneur oblige, commençons par la Ville Capitale dont le front de mer est en pleine restructuration.
Ce qui ressort à l’évidence des panneaux descriptifs censés représenter son état final, c’est l’absence de tout équipement spécifique nouveau destiné à favoriser l’activité touristique ; entre l’enclave immobilière , à vocation principalement d’affaires , de la Pointe Simon et le début de la Savane ,il n’y a en tout et pour tout que de la voirie (nouvelle configuration de la rue Ernest Deproge pour remplacer le boulevard Alfassa, désormais affecté au passage du TCSP) et des parking à profusion pour toute sorte de transporteurs publics mais fort peu pour le stationnement résidentiel ; on imagine sans peine ce que deviendra cette zone à la nuit tombée, un désert propice à tous les mauvais coups.
Alors certes ,il est prévu une esplanade, ouverte à tous vents (car le climat bien sûr, ne saurait que nous obéir !) censée accueillir différentes animations ; je passe sur le dernier avatar en forme de baraques préfabriquées destiné à recevoir marchandes et pacotilleuses, déménagées de l’ex pavillon du tourisme, puisqu’il a été bien précisé que c’était à titre tout à fait provisoire ,on a même entendu le qualificatif d’éphémère, comme les nuages qui passent, tout reste donc à faire !
Enfin et c’est le seul point vraiment positif et potentiellement novateur de cet aménagement , probablement parce qu’il est le seul rescapé des nombreuses études et documents d’urbanisme antérieurs, superbement ignorés par ailleurs – c’est une habitude dans cette ville – l’élargissement des trottoirs en forme de terrasses au droit des immeubles bordant la rue E.Deproge.
Encore faut-il que ceux-ci s’adaptent à cette nouvelle donne pour devenir la vitrine touristique de Fort-de- France . Il y faudra certainement beaucoup de temps.
Pour l’heure, point de terminal croisière, digne de ce nom, rassemblant le meilleur de la production artisanale , culturelle et commerciale de l’île et offrant aux visiteurs tous les services et commodités qu’il est en droit d’attendre; il faut avoir visité, comme j’ai pu le faire récemment, la plupart des îles de l’arc antillais pour se rendre compte à quel point nous sommes en retard sur ce plan sur tout le reste de la Caraïbe, même et surtout sur les plus petits territoires(St Kitts , Antigue, Grenade) pour ne pas parler de notre voisine Sainte-Lucie ou encore de Saint-Martin.
Quant à la Barbade ,elle a engagé un projet de nouveau terminal à Sugar Point , directement branché sur la façade maritime de la ville, qui sera complètement remaniée à cet effet , pouvant accueillir simultanément, six ou sept paquebots dont les fameux mega ships ;ce sera vraisemblablement le plus grand terminal pour la croisière des petites antilles.
Il est donc urgent d’arrêter de se complaire dans l’auto-satisfaction et les colloques en tout genre pour passer résolument à l’action. S’il s’avère impossible d’augmenter la capacité d’accueil du
terminal de la pointe Simon ,ce qui reste à démontrer , il faut dans les plus brefs délais décentraliser une partie de l’accueil de la croisière à Saint-Pierre, en y construisant les infrastructures nécessaires à l’accostage des paquebots, mais surtout , doter enfin cette activité des équipements d’accompagnement en matière d’accueil qui lui font actuellement cruellement défaut (ne serait-ce que pour pallier en partie l’image désastreuse de la fermeture des commerces du Centre-Ville le dimanche).
Deuxième exemple encore plus affligeant : la Pointe du bout aux Trois Ilets .
Le choix du projet retenu pour remplacer l’ex hôtel kalenda ne suscite guère, c’est le moins qu’on puisse dire l’enthousiasme, au plan architectural et d’intégration au site ; il ne traduit en rien l’esprit de notre région ; ces cubes de béton brisant la perspective et refermés sur eux-mêmes font songer à des HLM à peine améliorés (est-ce le tropisme du métier de base des intervenants) , qu’on peut retrouver sous n’importe quelle latitude et dans n’importe quel contexte géographique.
Ils ne traduisent aucune recherche de valorisation de notre éco-système tropical qui est ,en l’occurrence, littéralement bafoué.
Si l’on peut comprendre que la municipalité qui a fait ce choix ait été avant tout guidée par un souci de sécurité financière ( la CDC ça rassure !) ,il n’en reste pas moins que pour un site aussi exceptionnel ,situé face à l’une des plus belles baies au monde et qui n’appartient pas aux seuls iléens mais au patrimoine naturel de la Martinique tout entière ,d’autres considérations que la recherche d’optimisation financière à tout prix de la part des promoteurs immobiliers et de leur bailleur de fonds, auraient dû avoir été prises en compte.
Sans doute ,il aurait fallu pour y parvenir avoir associé, dans une consultation publique,comme cela se fait partout ailleurs, l’ensemble de la population de l’ile ( les moyens de communication modernes le permettent aisément) pour faire prévaloir le respect de notre environnement naturel et de son identité tropicale.
Une telle décision si importante pour l’image de la Martinique à l’extérieur ,surtout pour un centre destiné à recevoir des congrès, et donc, au bout du compte, pour l’attractivité de notre destination ne devait pas être laissée exclusivement à ceux qui se sont avérés incapables depuis vingt ans de traiter correctement l’accès à ce haut-lieu du tourisme martiniquais. .
En effet, pour s’y rendre on doit se contenter d’emprunter un banal chemin, sans aucun caractère, alors que la desserte de cette zone éminemment touristique nécessiterait un rond-point agrémenté de motifs décoratifs précédant une véritable allée carrossable bordée de palmiers et d’arbustes fleuris ,justifiant le surnom d’île aux fleurs ,elle-même encadrée de larges trottoirs artistiquement pavés et dotés de banc s et corbeilles , le tout mis en valeur par un éclairage de qualité.
C’est à se demander où passe l’argent attribué à la commune en sa qualité de cité balnéaire.
Quand on pense au tintamarre déclenché à propos du Burger King de l’aéroport , on reste confondu devant le silence et l’absence de réaction devant ce qu’il faut bien qualifier ,s’agissant de l’aspect de ce complexe hôtelier, de véritable négation de tout ce qui fait la richesse et l’originalité des Antilles dans le domaine du bâti et de son environnement naturel; pourtant les exemples de réussite dans ce domaine ne manquent pas : le Club Med à Sainte Anne ou Pierre et Vacances à Sainte-Luce , pour ne citer qu’eux.
Si c’est cela l’embellie dont on nous rebat les oreilles ,alors que dans le même temps ,faute d’avoir pris à bras -le- corps le problème primordial de la non-compétitivité de notre tourisme face au reste de la Caraïbe - les grands hôtels ferment les uns après les autres- la Martinique a de gros soucis à se faire dans la perspective de la prochaine Collectivité Unique.
Tout cela ne sont que les œuvres d’une Martinique qui avance, d’une région en action qui a réussi à générer cinq mille emplois en perpétuel recherche de création. Mais bon, à chacun sa manière et sa conception de la progression du tourisme . En lisant cet article démonstratif de l’incapacité à agir sur les leviers fondamentaux d’un tourisme attractif, dynamique et productif , on a franchement du mal à croire que des bâtisseurs de paradis ne sont pas en train de se leurrer eux même;