Les manifestations étaient nombreuses pour marquer cette date clef de l’Histoire de la Martinique. Le 22 Mai 1848, les esclaves se soulevaient depuis Saint-Pierre et le Prêcheur, arrachant cette liberté tant attendue. Depuis, associations, collectivités et particuliers célèbrent cette date, à travers des manifestations culturelles organisées, ou spontanées.
Le rassemblement organisé par les membres de l’association « twami » au centre du rond point du Viet Nam héroïque est désormais l’un des temps forts de ce 22 Mai. Un engouement qui ne se dément pas. Des centaines de martiniquais se succèdent dans ce lieu central pour jouer au tambour, chanter, danser, ou plus simplement témoigner par leur présence de l’importance de cette date.
Au-delà, des commémorations, légitimes pour la plupart, les désaccords restent profonds sur les « suites » à donner. Les réparations font notamment débat, entre ceux qui les voudraient symboliques, ceux qui en attendent des retombées pécuniaires ou en termes de développement, et ceux qui considèrent le sujet tout simplement mortifère. 168 ans après l’abolition, le consensus est encore loin sur ce sujet.
@polpubliques
Parmi toutes ces « suites » il y en a une en particulier qui relève de l’insalubrité morale, tant et si bien qu’on ne saurait lui opposer qu’une fin de non-recevoir sur le fond comme sur la forme. Celle qui préconise une réconciliation unilatérale, avec en ligne de mire une notion de tourisme mémoriel, qui reviendrait à vendre et à exploiter une nouvelle fois post mortem les souffrances des victimes de l’esclavage. On ose à peine imaginer le processus mental et intellectuel de décadence et d’indécence qui a pu aboutir à cette probabilité de suite là dans l’esprit de ces quelques renégats. De ces usuriers mémoriels.
L’esclavage, suites et… fins ?
De l’exploitation à des fins politiques à l’exploitation à des fins touristiques, les « suites » commémoratives de ce qui devrait être avant tout considéré comme un crime contre l’humanité dénaturent chacune à leur manière l’aspect mémoriel de l’esclavage. La réhabilitation mémorielle des victimes de cette période sombre de l’histoire humaine, qui devrait en toute logique inspirer dignité et respect, se voit ainsi compromise par les intérêts personnels « d’héritiers » qui voudraient ainsi tirer profits de ce qu’ils considèrent comme un héritage.
Un héritage qui serait source de revenus soit à travers la notion de « réparations » pour certains, ou encore de « tourisme mémoriel » pour d’autres. Deux notions qui loin de se s’opposer ont en commun avant tout de « rapporter », de tout rapporter à l’argent. La principale différence entre ces deux propositions tout aussi immorales tant l’une que l’autre se situant dans l’exposé des motifs. L’une s’appuie sur des revendications, l’autre s’inspire d’un désir de réconciliation, mais ni l’une ni l’autre ne se soucie de se justifier sur le plan de la légitimité.
Une légitimité qui ne saurait être incontestable qu’à la seule et unique condition qu’elle fasse l’unanimité des « ayant-droit ». Ce qui est loin, très loin d’être le cas. On ne peut que conclure donc que ces initiatives restent ce qu’elles sont, et doivent rester en réalité, des initiatives privées à des fins privées… de toute légitimité.
Il est quand même dommage que de toutes les manifestations organisées à l’occasion du 22 mai, on ne retienne que cette photo de rassemblement annuel de frimeurs et de frimeuses qui ne savent même pas que le tambou gwoka n’est pas de chez nous.
Et surtout de frimeurs(ses) saoulés(ées) comme pas deux!!!
« Toute vérité franchit trois étapes. D’abord, elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant été une évidence. »
Il faut comprendre la question des réparations d’abord comme celle du procès pour crime de déportation et de mise en esclavage, pour rétablir la dignité des victimes et de leurs descendants. Il n’y avait que des coups à prendre pour les hommes et femmes qui sont à l’origine de ce combat. Il leur a fallu, il leur faut encore, beaucoup de courage et de ténacité, dans une lutte inégale. Ils se sont sentis profondément légitimes pour porter cette action, cette légitimité beaucoup de monde la leur reconnait aujourd’hui. Ce combat pour la justice s’est internationalisé jusqu’au sommet de l’ONU. Il est question d’abord d’instruire le procès de ce crime, et de rendre justice. D’un coté l’indemnisation des propriétaires d’esclaves à la deuxième abolition, après leur haute trahison à la nation française en 1794 en Martinique, de l’autre rien pour les victimes de siècles de captivité et dépossession de leurs vies, et de kilomètres de coups de fouets, qui ont fait la fortune des premiers. Nous vivons dans un monde qui légitime encore cyniquement ces crimes comme une nécessité économique historique, au profit de qui exactement?
Ceux qui se battent pour ce procès le font avant tout pour les générations futures.
Ce procès rejoint celui d’un système d’exploitation de l’homme par l’homme et de la nature. L’aboutissement de ce procès contribuera à une mise à jour des valeurs qui fondent notre vie en société. Certains n’en veulent pas, ce sont malheureusement ceux qui tiennent encore les rennes du pouvoir économique, qui nous conduisent collectivement à la catastrophe, et connaissent très bien l’origine de leur fortune.
http://www.huffingtonpost.fr/louisgeorges-tin/traite-negriere-et-esclavage-le-baron-seilliere-doit-reparer_b_7232476.html